dimanche 28 septembre 2014

Faire quelque chose… militairement


Quand “faire quelque chose” veut dire “faire quelque chose militairement”, on se prépare à des échecs et des retours de flamme. C’est le manque d’imagination de nos dirigeants qui pose problème.
Plutôt que d’imaginer des solutions, une attitude que l’on a semble-t-il oubliée, on réagit « à chaud », de façon émotionnelle et donc sans réflexion. Un dirigeant a des émotions, c’est d’ailleurs souhaitable, mais il doit être capable de les dépasser avant de prendre des décisions aussi importantes que de mener une guerre. Cela ne semble plus être le cas. J’y vois une conséquence, oserais-je dire une victoire, du terrorisme. Les hommes politiques et les médias en sont responsables et nous en sommes complices.
Une réaction « à chaud » est une réaction qui n’a pas été évaluée correctement. Ce n’est pas forcément une réaction mauvaise à court terme. Mais justement, elle représente une vue à court terme, une vue qui ne cherche pas à évaluer calmement les conséquences au delà de ce « court terme ». On peut tolérer ce type de réaction d’un individu ordinaire.
Mais diriger, c’est réfléchir, c’est prévoir, c’est faire preuve d’imagination. Diriger, ce n’est pas faire comme tout le monde, ce n’est pas imiter ses voisins, c’est être capable d’imagination. C’est aussi être capable d’analyser le passé pour en tirer des enseignements. Un président, des ministres, des députés, des sénateurs sont des personnes qui ont cherché à obtenir le pouvoir, ce pouvoir qu’ils semblent maintenant ne plus vouloir exercer. Ce pouvoir que nous leur avons donné à eux, malheureusement parfois, faute de mieux.
Si je prends le cas français, le manque d’imagination des dirigeants se traduit par des déclarations du genre « on devrait faire comme en Allemagne », ou « ça marche bien au Danemark, pourquoi ne pas essayer chez nous ». Parce que la France n’est ni l’Allemagne, ni le Danemark et les Français ne sont ni des Allemands ni des Danois.
Dans le domaine des interventions à l’étranger, le modèle favori des dirigeants politiques français aujourd’hui, c’est l’Amérique. Où est le temps où l’on moquait volontiers le manque de subtilité américain ? Peu importe que les Etats-Unis n’aient connu que des échecs et des défaites, dans leurs interventions, depuis le Vietnam en particulier, en Afghanistan en 2001 et en Iraq en 2003, sans parler du Yémen, de la Somalie ou de la Lybie.
En 1991, les Etats-Unis ont perdu leur adversaire idéologique et se sont retrouvés seule puissance globale. Une situation qu’ils n’avaient d’ailleurs pas prévue et à laquelle ils mettront plusieurs années à s’habituer. Le virage de la superpuissance a été pris au début des années 2000 quand les « néo-conservateurs » on pris le pouvoir à Washington. Les théories de domination totale ont alors vu le jour.
Les Etats-Unis étaient tout puissants, les gardiens de la démocratie mondiale à qui il restait seulement quelques états de « l’axe du mal » à faire rentrer dans le « droit chemin ». Jamais dans l’histoire du monde un pays n’avait tenu ce type de position, assise, de plus, sur une puissance militaire inégalée.
Pourtant, malgré cette puissance considérable, depuis le début du siècle, aucune intervention militaire n’a fonctionné. Pas un seul état, fut-il petit, mal équipé, faible, impopulaire n’a été défait. Pas un groupe terroriste n’a été éliminé, pas un seul. Et pourtant, la France (elle n’est pas la seule, bien sur) a décidé de suivre le nouveau « maître du monde » malgré ses résultats peu convainquants. Je n’ai pas entendu un membre du gouvernement mettre en doute le bien fondé de la méthode forte. On continue à appliquer toujours les mêmes méthodes en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent. Une forme de folie.
Et plus le temps passe, plus cette folie semble toucher de monde. On nous dit que les Etats-Unis sont au plus haut de leur puissance. Certains dont j’ai fait partie un moment, voient plutôt un immense empire militaire en train de se désintégrer sous le poids de son impuissance et plus le temps passe, plus cette désintégration que personne ne veut encore admettre, pousse à des comportements de moins en moins raisonnables, de plus en plus psychotiques et donc de plus en plus dangereux (Philippe Grasset décrit très bien cette situation dans les nombreux articles sur le sujet de son site www.dedefensa.org). Dans son allocution télévisée annonçant la reprise des bombardements en Irak le président américain a expliqué que cette nouvelle guerre durerait plusieurs années. Selon certains de mes confrères américains, des « sources bien informées parlant sous condition d’anonymité » (vous connaissez la formule consacrée) parlaient de 36 mois au minimum. Ainsi donc, loin de sortir les Etats-Unis d’Irak, comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale, il va « léguer » ce conflit à son successeur (Alfred Nobel doit se retourner dans sa tombe). Et la France suit, merci M. le président…
Il y a cependant une autre analyse possible de ce comportement américain qui m’a longtemps semblé incohérent. Elle a été proposée en 2003 par M. Jacques Sapir, à une époque où les médias ont préféré gloser sur l’opposition franco-germano-russe à l’intervention en Irak. Dans un article publié par la « Revue internationale et stratégique », il y expose ce qu’il appelle « l’isolationnisme interventionniste providentialiste américain ». Il s’agit d’un glissement de la vision impériale qui dominait jusqu’à la fin du XXe siècle, vers un isolationnisme qui ne cherche plus à organiser le monde, mais à détruire toutes les sources de danger pour le continent américain. J’ai abordé l’aspect « providentiel » dans un autre article.
Cette approche me semble mieux expliquer l’attitude des dirigeants américains qu’il s’agisse évidemment de M. Georges W Bush mais aussi, quoi qu’il s’en défende, de M. Barak Obama. Elle ne fait plus la part belle à une irrationalité et une courte vue qui, bien qu’elle séduise une frange importante de la population française, ne peut être imputée à des dirigeants de ce niveau et à leurs conseillers.
Mais si cela rassure mon sens de la logique, c’est bien le seul aspect rassurant que j’y trouve.
Ainsi on s’en prend à l’Ukraine de façon cynique parce que l’on veut détruire le lien entre la Russie et l’Europe et, si possible provoquer un changement de régime en Russie. Peu importe le nombre d’Ukrainiens qui le paieront de leur vie. Peu importe la situation économique de l’Ukraine. Au contraire, plus la situation économique de ce pays est désespérée, moins il y aura de candidats à faire alliance avec lui, et même si on n’atteint pas le but initial en Russie (et il est fort probable que l’on n’y arrive pas) on aura évité une alliance entre la Russie et l’Ukraine qui aurait fait de l’Union Eurasiatique un danger pour les Etats-Unis. Peu importe que la Russie n’ait plus aucun désir d’envahir ses voisins et de reformer l’ex-empire soviétique, il suffit de s’en convaincre et de convaincre la population américaine, car comme le dit Aaron David Miller dans un article de Foreign Policy daté du 23 septembre :  « Nous sommes très bons à nous faire une peur du diable et à agir ensuite sur cette base. Nous avons fait cela depuis les débuts de la république… »
De même, les Etats-Unis soutiennent, arment et financent des mouvements terroristes dans le monde, pourvu qu’à un instant donné ils servent les intérêts américains. Peu importe qu’à terme on se retrouve face à ces armes que l’on a distribuées. On l’a vu en Afghanistan où les Etats-Unis ont armé les Talibans qui luttaient contre l’Union Soviétique, avant de se retrouver face à ces mêmes Talibans. ISIS a été considéré comme un allié acceptable contre M. Assad en Syrie jusqu’à ce qu’il commence à s’étendre en Irak avec le succès que l’on sait.
L’échec en Irak est patent. Malgré des dépenses ahurissantes, 25 milliards de dollars pour entraîner une armée irakienne dont on a vu les performances récemment, 60 milliards pour une reconstruction qui n’a pas eu lieu et 2.000 milliards pour la guerre, sans compter les milliers de morts, il semble qu’il faille tout recommencer. Cette fois, on ne mettra pas de troupes au sol, promis juré. Mais il y a trois ans, les Etats-Unis avaient soit disant laissé derrière eux en Irak un pays stabilisé (discours de M. Obama).
Le ministre des affaires étrangères français explique que les combats au sol doivent être menés par « les populations locales »(journal de 20H, A2, dimanche 28 septembre 2014). Mais quelles populations ? Les Irakiens, on a vu leur armée. Les Kurdes ? Les médias européens ne tarissent pas d’éloge pour les « Peshmergas » kurdes. Mais qu’en pense la Turquie voisine qui ne veut pas entendre parler d’un état kurde ?
La France, nous dit-on ne va bombarder que le territoire irakien, mais pas la Syrie. Notre ministre d’expliquer qu’en Syrie, nous avons une autre action. Nous soutenons l’opposition modérée. Mais que savons-nous de cette opposition modérée. En quoi est-elle modérée ? Bien souvent l’opposition modérée n’est qu’une opposition soutenue par les Etats-Unis et qui deviendra à terme un groupe terroriste quand il commencera à s’opposer à celui qui l’a nourri. Et le cycle recommencera. Pour le moment, la seule opposition modérée en Syrie est constituée de jihadistes comme Jabhat al-Nusra, Ahrar al-Sham et le Front Islamique. Leur sectarisme violent n’est pas très différent de celui de l’ISIS.
Je ne suis pas systématiquement contre une intervention militaire. Il y a des moments où elle se justifie. Mais j’aime que l’on m’explique, avant de se lancer, pourquoi cette intervention est légitime. Et attention à la manipulation médiatique. Quand un responsable m’explique qu’il faut « y aller » parce qu’en face de nous nous avons des « barbares », tout ministre qu’il soit, je me dis que tout pays attaquant désire justifier moralement son intervention et il aura donc une forte tendance à diaboliser son adversaire. Ceci n’est pas une motivation raisonnable.
L’alternative à ne rien faire n’est pas agir militairement. Il y a d’autres solutions, comme des solutions politiques que l’on peut mettre en œuvre grâce à des efforts diplomatiques. Au lieu de me parler de bombardements, même s’il sont, peut-être, un des éléments de la réponse appropriée, j’aimerais que l’on essaie de m’expliquer comment barrer la route au sectarisme en Irak.
Au lieu d’une coalition militaire, j’aimerais entendre parler d’une coalition diplomatique pour faire pression sur qui de droit. Cela éviterait, en passant, de donner des armes à des alliés de circonstance qui, ensuite, retourneront ces armes contre nous.
Pourquoi ne pas relancer les négociations sur la situation complexe en Syrie. Au lieu de livrer des armes à une soit disant « opposition modérée », pourquoi ne pas envisager un embargo sur les armes pour toutes les parties au conflit.
Les Etats-Unis se lancent, comme à leur habitude, dans une opération militaire qu’ils ne peuvent pas gagner militairement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en tireront pas un profit stratégique. Mais c’est un profit pour les Etats-Unis uniquement, pas pour ses alliés qui de toute façon ne sont que des éléments d’un décor qu’il faut morceler au maximum pour empêcher la naissance d’une force capable de porter la violence sur le territoire américain.
Leur position, aussi cynique qu’elle soit n’est pas dépourvue d’un épouvantable logique. Mais ou est l’intérêt de la France dans tout cela ? Le président Hollande a reçu la mission sacrée de protéger la France et le peuple français. On ne badine pas avec de tels enjeux qui dépassent largement ces mensonges de campagne oubliés aussitôt que prononcés. La France était déjà engagée sur trois fronts, était-il besoin d’en ajouter un autre. Etait-il besoin pour le plaisir de jouer le rôle de je ne sais quel « matamore » de mettre la France en tête des listes de pays menacés par le terrorisme ? On ne parle plus là de déficits à contenir, on parle de la vie des Français.
Je laisserai le dernier mot à un général américain (eh oui…), le Général Butler qui observait, c’est une citation reprise d’un article de Noam Chomski au mois d’août :  « C’est un miracle que nous ayons échappé à la destruction jusqu’à maintenant, mais plus on tente le sort, moins on peut compter sur intervention divine pour prolonger ce miracle ».

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