Parmi les citations
célèbres du président russe, Valdimir Poutine la suivante est à la fois la plus
reprise et la moins bien comprise : « La chute de l’Urss a été
plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». La plupart des « experts du monde russe
contemporain » qui hantent les plateaux de télévision y voient l’aveu de
la nostalgie de l’Union Soviétique. Quoi de plus normal d’ailleurs, venant d’un
ancien « directeur du KGB » comme on décrit si souvent le président
russe. Un ami américain me faisait d’ailleurs remarquer, récemment, que l’on ne
parlait jamais de M. Bush Sr. comme de « l’ex-directeur de la CIA »
qu’il fut cependant.
Le
vrai sens de cette phrase (et la « catastrophe » dont il s’agit) est
plutôt à chercher dans les conséquences géopolitiques de la disparition de
l’Urss. Cette disparition a laissé un pays seul en position dominante sur la
scène mondiale. Si l’on veut être indulgent avec les Etats-Unis on dira que ce
pays n’avait pas eu le temps de se préparer à occuper cette position. Que ses
premières réactions ont donc été dictées par une grande surprise et des
réflexes hérités de la période où il rêvait d’éliminer son adversaire
idéologique, sans toutefois penser qu’il y arriverait.
Plus
de vingt-deux ans après, on est moins enclin à l’indulgence en constatant ce
que les Etats-Unis ont fait de leur position dominante. Le monde est moins sûr
qu’il ne l’a jamais été, le droit est bafoué, la démocratie n’est plus que
l’ombre d’elle même à force d’avoir été utilisée comme paravent à diverses
manœuvres de déstabilisation de pays menant à des changements de régime.
Lorsqu’un pays tente de tenir tête aux Etats-Unis la première réaction est
d’essayer d’en changer le régime. Les méthodes ont varié avec les présidents,
mais l’objectif est resté le même : mettre à la tête du plus grand nombre
de pays possible, des gouvernements acquis aux thèses américaines.
Sous
l’ère Georges W. Bush, les Etats-Unis se cachaient derrière la lutte contre le
terrorisme et les interventions prenaient la forme d’invasions militaires,
comme en Irak ou en Afghanistan. M. Obama, lui, se veut le champion de la
« légalité » et agit sous couvert d’opérations de défense de la
démocratie. Je n’en veux pour exemple que ce qui s’est passé à Téhéran en 2009
(tentative manquée), au Vénézuela quatre ans plus tard (autre tentative
manquée), en Egypte, tentative réussie de renversement d’un président
démocratiquement élu, par une opération de « défense de la
démocratie » et, plus récemment en Ukraine ou les Etats-Unis soutenus par
l’Union Européenne ont, là encore, soutenu le renversement d’un président
démocratiquement élu (élections jugées honnêtes par l’EU elle-même à l’époque),
au nom de la démocratie.
Tout
cela peut paraître un peu confus, mais on comprend mieux les différentes
situations quand on est capable de savoir à quel moment remplacer, dans le
discours, le terme « démocratie », par le terme « démocratie
américaine ».
Parallèlement
à ces opérations, la notion même de diplomatie a été vidée de son sens, de la
même façon que l’avait été celle de démocratie. Cette tendance de fond a débuté
précisément avec la fin de l’Urss et ce que l’Américain Francis Fukuyama a appelé à l’époque, la « fin de
l’histoire ». Il est d’ailleurs revenu sur cette métaphore erronée,
reconnaissant que sa vision de l’époque
n’était pas juste. Sans doute l’effet de surprise mentionné au début de cet
article.
Cette
reconnaissance de son erreur par M. Fukuyama a été évidemment moins prise en
compte que ses premières déclarations plus « percutantes », il faut
bien l’admettre, et les dirigeants occidentaux et américains en particulier ont
continué à agir de la même façon. On ne parle plus de la recherche en commun de
solutions acceptables par toutes les parties à un conflit d’intérêt (diplomatie)
mais de décision « juste », basée sur les normes, les valeurs, la
vision du monde de l’occident. Ces
valeurs et cette vision sont d’autant moins remises en cause qu’elles auraient
prouvé leur justesse par la victoire qu’elles ont permise contre l’ennemi
idéologique.
Cette
méthode n’est évidemment pas du goût de tous les pays, et c’est pourquoi à
l’époque de M. Bush junior, il a fallu faire appel à la force militaire pour
faire accepter les « décisions justes » de l’Amérique. Mais il
s’agissait de méthodes par trop grossières qui ne pouvaient décemment être mise
en œuvre que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous les pays qui
cherchent à tenir tête aux Etats-Unis ne peuvent raisonnablement pas être taxés
de terrorisme, même si on a déjà eu tendance à Washington à abuser un peu de
cette qualification.
Les
Etats-Unis et leurs alliés sont donc passés à des méthodes de persuasion moins
évidemment violentes. La force militaire a été remplacée par les pressions
politiques, économiques et, plus récemment, informationnelles. J’ai mentionné
dans un précédent article cette phrase de M. Obama qui aurait sans doute
déclenché un tollé international, en d’autres temps : « notre capacité à modeler l’opinion du monde
a permis d’isoler la Russie dès le départ ».
Mais,
justement, cette méthode qui exclue toute négociation sérieuse avec la partie
adverse ne fonctionne pas quand cette partie adverse est du calibre de la
Russie. Toute personne sensée comprend que le Kremlin ne cèdera jamais à ces
méthodes. Cela n’empêche pas les Etats-Unis et l’Union Européenne de continuer
à appliquer des méthodes qui n’ont pas fonctionné en espérant toujours obtenir
un résultat différent de celui des tentatives précédentes. Une forme de folie.
Sortira-t-on
de la situation bloquée actuelle ? Vraisemblablement. Sans se faire la
guerre ? Sans doute. Cela sera-t-il facile ? J’en doute. Il est
beaucoup plus facile de mettre des sanctions en place que de les lever. Il est
beaucoup plus facile de détruire la confiance que de la construire. Et, au plan
économique, il est plus facile de prendre des positions que de les regagner.
Tout
cela pour quoi ? Les Ukrainiens ont signé avec l’Union Européenne un
accord économique qui vient d’être reporté à début 2016. Certains
fonctionnaires de Bruxelles parlent, en privé, de « funérailles discrètes ». La
situation économique du pays qui n’a jamais été brillante depuis 1991 est
maintenant désespérée. Les besoins financiers sont au delà des possibilités de
l’Europe, du FMI ou des Etats-Unis, sans l’aide de la Russie. Cependant tous les voisins
de l’Ukraine ont intérêt à vivre près d’un pays stable et prospère.
Depuis
le début de la crise, la Russie demande à participer à des négociations
tripartites. On lui a répondu que ce problème ne la concernait pas. Pourtant,
il va bien falloir, maintenant, discuter à trois, Union Européenne, Russie,
Ukraine.
Combien
de vies humaines aurait-on pu épargner en commençant à négocier tout de
suite ?
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