vendredi 16 janvier 2015

Russie : François Hollande persiste, va-t-il signer ?


Je concluais un précédent article en disant : « Entre Bruxelles et Washington, quelle est la marge de manœuvre de, disons, au hasard, François Hollande ? Est-ce qu’il commencerait à réaliser la situation et faudrait-il expliquer ainsi son escale rapide à Moscou en revenant d’Astana ? Ou est-ce que je continue à prendre mes désirs pour des réalités ?... »
Aujourd’hui, je dirais que l’évolution, sinon des évènements, en tout cas des prises de positions me permet de continuer à espérer.
Deux grandes lignes semblent se dessiner clairement maintenant dans l’Union Européenne. D’un côté Mme. Merkel qui veut tenir fermement la ligne des sanctions. De l’autre un président français qui déclare que « Les sanctions doivent être levées s'il y a des progrès. S'il n'y a pas de progrès, les sanctions demeureront ». François Hollande faisait allusion à la réunion des présidents au format « Normandie » initialement prévue à Astana le 15 janvier. Ce à quoi la chancelière allemande répondait : "Je pense qu'il faut que nous puissions voir mise en oeuvre la totalité des accords de Minsk pour que nous puissions dire que l'on peut lever ces sanctions". Les circonstances de cette déclaration ne sont pas anodines, puisque Mme. Merkel l’a fait à Berlin, au cours d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk.
Nous avons donc, d’un côté la chancelière allemande qui fonctionne en parallèle du pouvoir Ukrainien et le président français qui fait savoir que le régime des sanctions commence à lui peser.
Voyons d’abord le côté allemand. Il y a quelques mois, on se posait la question des motivations de Mme. Merkel. J’ai discuté il y a un peu plus d’un mois avec un diplomate russe qui connaît bien l’Union Européenne et la France en particulier. Pour lui, il ne faisait aucun doute que la position de la chancelière est celle de quelqu’un qui se sent prête à diriger l’Union Européenne. Pour cela, elle a besoin d’affirmer sa propre ligne. Que cette ligne corresponde, pour le moment, à la ligne américaine est un bonheur collatéral. Mais il serait erroné de penser qu’elle « roule » pour les Etats-Unis. Le moment venu elle prendra de l’indépendance, sans aller, bien sûr à la rupture ce que son électorat n’accepterait pas. D’ailleurs elle ne le veut pas elle-même. Ce qui lui importe c’est de prendre un peu de distance pour asseoir son autorité sur l’Union Européenne.
Si on relit les principales déclarations de Mme. Merkel ces derniers mois, cette analyse semble confirmée par la réalité. Elle parle désormais au « nom de l’Union Européenne ». D’autre part, l’Allemagne est à la recherche de solutions pour protéger les acquis de sa population dont la moyenne d’âge augmente plus rapidement que dans d’autres pays européens. L’Ukraine avec son marché de plus de 45 millions d’habitants et une force de travail bon marché serait une solution tentante, même si, pour cela, il faut, au moins temporairement, s’allier à un gouvernement dans lequel figurent en bonne place un certain nombre de néonazis.
Mais la classe politique allemande ne fait pas bloc derrière la chancelière sur ce sujet. Beaucoup s’en faut. Les milieux économiques ne sont pas satisfaits non plus. Il est difficile de dire combien de temps Mme. Merkel pourra imposer ses vues concernant les sanctions à ces partenaires intérieurs. Certains pensent même dans les milieux anglo saxons, qu’elle ne survivra pas, politiquement, aux problèmes qu’elle aura à régler cette année.
Du côté français, la situation est en train d’évoluer, au moins en apparence. Mais les relations internationales sont aussi faites de signaux et d’apparences.
Le président français semble, à présent,  désireux de prendre au moins certaines distances avec la politique allemande dans ce domaine, faute d’avoir le courage de le faire sur les questions économiques ou celle de la gouvernance de l’Union Européenne. Il peut légitimement espérer faire taire une partie de ses critiques en s’opposant à la direction allemande dans un domaine ou il ne risque pas de devoir apparaître comme celui qui a mis en cause la construction européenne telle qu’elle est aujourd’hui où la zone euro.
D’autre part, il peut compter sur le soutien de la Russie dans ce type de politique. Mais surtout, les attentats récents à Paris on changé l’ambiance générale. Le rôle que pourrait jouer la Russie, expert reconnu internationalement de la lutte contre le terrorisme est un argument fort qui pourrait changer durablement l’image de ce pays dans les médias.
Ainsi donc, on l’a vu rendre visite au président Russe à son retour du Kazakhstan. Puis il a fait des déclarations apaisantes comme celle où il explique que la Russie ne veut pas envahir l’Ukraine, « le président Poutine me l’a dit ». Il a accepté de participer à une réunion au Kazakhstan avec la Russie, l’Ukraine et l’Allemagne (le format dit « de Normandie » par référence à la rencontre qui a eu lieu lors des cérémonies de commémoration du débarquement) en juin. Il y avait mis une condition de bon sens, « qu’il y ait des chances que cette rencontre soit productive », c’était le moins. Cette réunion a été reportée suite à une séance de préparation qui a eu lieu il y a quelques jours à Berlin. Ceci n’est pas le fait de la France, mais plutôt du côté ukrainien. On peut y voir la main des Etats-Unis qui ne verraient pas d’un bon œil un accord qui n’arrange pas leur politique actuelle d’agression vers la Russie et auquel, injure suprême, ils n’auraient pas participé.
On notera au passage que ceci est bien la manifestation de ce qui se passe en coulisse dans un pays qui est maintenant contrôlé et même effectivement dirigé par la CIA et le département d’état. On citera à titre d’exemple, la nomination, par le président ukrainien, au poste de ministre des finances, de Natalie Jaresko, une Américaine d'origine ukrainienne qui a travaillé pour le département d'Etat américain et pour un fonds d'investissement ukrainien financé par le Congrès des Etats-Unis. Comme cela semblait tout de même un peu étonnant, la porte parole du dit département d’état, Marie Harf, a affirmé, sans rire, que les Etats-Unis «n'avaient rien à voir du tout avec cela. C'est le choix du peuple ukrainien et de leurs représentants élus». On est prié de la croire…
Cela n’enlève rien, bien au contraire, à la volonté du président français de sortir de l’impasse actuelle qui commence à coûter cher aux différentes économies européennes. D’autant que, si la France prend maintenant la tête du mouvement, ses relations diplomatiques et les intérêts des entreprises françaises en Russie s’en trouveront renforcés.
Réaction de la Russie, comme en réponse à ces ouvertures françaises encore timides, on envoie une lettre demandant à la France de déclarer officiellement sa position en ce qui concerne la livraison des deux navire de type « Mistral ». Les médias officiels, dont on sait pour qui ils « roulent » on présenté cela comme une mise en demeure avant une action en justice. J’y vois, tout au contraire, une offre d’apaisement. D’autant que, de son côté, le ministre adjoint russe de la Défense Youri Borissov a déclaré : « Nous serions satisfaits quelle que soit l'issue – les Mistral ou le remboursement de l'argent investi ». Ceci ne sonne pas comme une mise en demeure, mais plutôt comme « annoncez votre choix, nous l’acceptons d’avance ». Il faut dire aussi que la Russie est bien placée pour se montrer compréhensive dans ce domaine. Elle a été, elle-même, dans la position de la France en 2010 quand elle a refusé de livrer à l’Iran, des missiles S300 commandés et payés par ce pays.
Peu de jours après, l’ambassadeur de France en Russie, Jean-Maurice Ripert, donnait une interview au quotidien « Kommersant » dans laquelle il déclarait notamment : « Nous ne voulons pas accepter la rupture, le fait que la Russie s’éloigne de l’Europe ou l’Europe de la Russie. Le concept d’Eurasie ne me gêne pas, c’est une réalité. La Russie est un pont entre l’Europe et l’Asie, et, bien sûr, la Russie fait partie de l’Europe ».
Chacun sait qu’un ambassadeur ne fait jamais ce genre de commentaires de son propre chef. Il suit à la lettre les instructions qui lui sont données par le Quai d’Orsay. On mesure donc l’importance de telles déclarations. D’autant que ce n’est pas une première en ce qui concerne Jean-Maurice Ripert. Il avait déjà déclaré, il y a environ deux mois, lors d’un voyage en province à Sverdlovsk, « Nous espérons sortir de ce cycle des sanctions dans un avenir proche. Et nous sommes venus ici pour nous préparer au moment, où il sera possible de mettre intégralement en œuvre la machine de la coopération franco-russe ».
Ainsi donc, un mouvement de fond commence qui pourrait, s’il allait à son terme, changer complètement la donne dans les relations entre la France et la Russie, la France et l’Europe et donc l’Europe et la Russie. Et tout ceci à l’initiative de la France et, en particulier de son président. François Hollande y retrouverait un poids qui pourrait lui permettre de relancer une carrière politique que tout le monde s’accordait il n’y a pas longtemps à considérer comme virtuellement terminée. Voilà pour la motivation personnelle et égoïste. Espérons que cela ne soit pas la seule et, d’ailleurs, il a matière à se sentir motivé par l’avenir de la France.
Comme je le mentionnais plus haut, Mme. Merkel se comporte maintenant comme le vrai patron de l’Union Européenne. Jusqu’à une période récente, l’Union Européenne c’était, pour simplifier, l’économie de l’Allemagne avec la voix de la France. Maintenant, c’est l’économie de l’Allemagne avec la voix de l’Allemagne. Si François Hollande ne fait rien, avant la fin de son mandat, la France, avec ses difficultés économiques sera devenu un membre de seconde classe de l’Union Européenne.
Il y a donc urgence, mais il peut compter sur l’aide de la Russie. La Russie apportera son aide pour deux raisons. La première, plutôt sentimentale, mais forte, est le passé des relations franco-russes qui ont plus de mille ans et sont restées fortes même à l’époque de la guerre froide. Dans une récente émission sur une radio russe, qui réunissait Kyrill Koktish, professeur associé à l’Ecole Nationale des Relations Internationales de Moscou et Dmitri Yakushkine, un expert indépendant, ce dernier remarquait : « ceci me rappelle le rôle que la France a essayé de jouer dans les années 60. Elle cherchait à retrouver sa gloire d’avant guerre en se positionnant comme un pays entre l’Est et l’Ouest. A cette époque, l’Urss faisait preuve de beaucoup de retenue dans ses critiques envers la France. »
La deuxième raison est que, ayant une vue large de la situation de crise actuelle, la Russie peut mieux en analyser les causes et les trajectoires. En France, la réflexion est polluée, comme bloquée par la communication haineuse de médias dégoulinants « d’anti poutinisme » et « d’anti russisme ». Nous traversons une phase pendant laquelle il devient possible de redistribuer les cartes, d’établir un nouveau rapport de force entre l’Eurasie et le monde occidental. La Russie sait que la France pourrait être un partenaire idéal pour atteindre ces fins. Son histoire montre qu’elle est sans doute le pays le plus qualifié pour jouer ce rôle d’arbitre sans lequel il sera difficile de régler les différentes crises actuelles.
Le Russie moderne a su aussi se construire une image d’intermédiaire fiable dans certaines régions du monde où la France est moins présente. Dans l’émission de radio citée plus haut, Kyrill Koktish, remarquait : « Si le président Hollande parvient à construire un pont entre l’Union Européenne et l’Union Eurasiatique, lui et la France serait de grands gagnants, car l’Europe retournerait à la tradition intellectuelle française, sans laquelle cette Europe serait un pays sans esprit ».
La France a besoin de croire à nouveau en elle. La meilleure façon de lui redonner cette confiance serait de lui redonner sa place dans la diplomatie mondiale. La confiance retrouvée ne règlerait évidemment pas les problèmes intérieurs (économie, immigration, etc.) mais créerait la seule ambiance propice au règlement « à la française » de ces problèmes.

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