La nouvelle de
l’assassinat de Boris Nemtsov, ancien vice-premier ministre de Boris Eltsine a
déclenché la série de réactions stéréotypées habituelles. Les médias
occidentaux accusent à mots couverts le gouvernement et, bien évidemment le
président. A Genève, la Tribune titre : « L'opposant russe Nemtsov abattu devant le Kremlin ».
« Opposant » et « Kremlin » dans la même phrase, le message
est lancé. En France, « 20 minutes » opte pour un titre un peu plus
neutre, mais met rapidement en exergue une citation d’un autre opposant, Mikaïl
Kassianov qui a déclaré sur la scène de crime : «En
2015, un chef de l'opposition tué sous les murs du Kremlin. Cela dépasse
l'imagination». Sous les murs du Kremlin est un peu exagéré, il s’en faut
d’environ six à huit cent mètres. Mais la formule fait mouche et c’est
l’essentiel.
Pour
le « Nouvel Obs », Nemtsov a été tué « devant le Kremlin »
et l’article commence par la citation de Kassianov mentionnée plus haut. Puis
il mentionne la réaction originale de François Hollande qui qualifie le crime « d’odieux »
là on peut le suivre tout en regrettant tout de même que ses apitoiements
soient si sélectifs. Il poursuit en parlant, à propos de Nemtsov d’un
« défenseur de la démocratie » et là il a dû être mal renseigné.
Autre
réaction politique prévisible, celle du président Obama qui parle de « meurtre brutal » et appelle "le
gouvernement russe à rapidement mener une enquête impartiale et
transparente". Depuis le temps que les Etats-Unis financent l’opposition
de Nemtsov, on comprend que cette perte l’agace. Cependant, la population russe
est au courant de ces financements et c’est en partie pourquoi ses chances
politiques s’étaient évanouies depuis longtemps. La réaction aurait pu être plus
violente, elle ne l’a pas été.
Du côté russe,
évidemment, on parle d’une manœuvre de déstabilisation, ce que les journalistes
occidentaux aiment appeler à l’américaine, un « faulse flag ». On ne
peut se réjouir de la mort d’un être humain, mais cette fois je suis content
que le « faulse flag », si c’en est un, n’ai pas coûté la vie à tous
les passagers d’une avion de ligne. Mais je ne crois pas que cela en soit un.
Quatre axes s’ouvrent aux
enquêteurs.
Le premier, les affaires.
Boris Nemtsov n’est pas moscovite d’origine, Eltsine l’a fait venir de Nijnyi
Novgorod dont il était gouverneur. Il y avait également des affaires qui lui
ont permis de gagner beaucoup d’argent dans les années 90. A cette époque où
les nouveaux riches se permettaient tout, il avait même tourné un clip vidéo
avec quelques collègues en politique (Irina Khakamada et Anatoly Tchoubaïs)
dans lequel ils expliquaient qu’ils étaient hors du besoin. Avec un salaire de
gouverneur ? Peu probable. Mais il y a maintenant longtemps que l’on ne
tue plus ses concurrents en affaire en Russie. C’était bon pour les années 90
où on ne pouvait compter sur des lois qui n’existaient pas encore. Je ne crois
pas à cette version.
Le second axe serait la
politique. Nemtsov a créé un parti, le « Parnass », avec Mikhaïl
Kassianov et Nikolaï Rizhkov. Ils avaient réussit récemment à
« pousser » Rizhkov hors du parti. Peut-être Nemtsov voulait-il en
prendre la tête. N’oublions pas qu’il y aura des élections à la Douma l’année
prochaine. Il y aurait eu une réaction au sein du parti pour l’empêcher d’en
prendre la direction. Possible, mais je ne suis pas convaincu.
Troisième axe, la
provocation. C’est celle qui me semble la moins plausible. Ecartons tout de
suite les Etats-Unis qui font toujours un suspect intéressant dans ce genre de
circonstances. Ils n’avaient aucune raison de se débarrasser d’un homme
politique qu’ils finançaient depuis longtemps et qui avait une bonne image à
l’étranger. L’investissement n’avait pas encore commencé à « payer ».
Il serait un peu facile d’accuser l’Ukraine. On trouvera toujours là-bas un
grand nombre de déséquilibrés prêts à jouer ce genre de jeu, mais de là à
passer à l’action. Ce n’est pas si facile de tuer un homme. Je veux dire de le
tuer tout en échappant aux enquêteurs. Quand à la Russie et à son président,
c’est sans doute eux qui ont le plus à perdre dans l’opération, surtout si le
tueur échappe à la police.
Mais c’est surtout le
mode opératoire qui me fait éliminer cet axe. Qui dit provocation dit
commanditaire, nous venons de traiter ce point et exécutant. La police nous
dit, et cela semble confirmé par les témoins, il y a eu six à sept coups de
feu. Quatre ont touché Boris Nemtsov dans le dos. Un professionnel ne tire pas
six ou sept fois pour tuer. Il tire deux fois. Le premier coup pour
« fixer » la cible, le second pour la tuer. Le mode opératoire ne
correspond pas à un contrat exécuté par un professionnel. Il y a dans
l’acharnement du tireur un côté émotionnel certain. Il ne voulait pas seulement
tuer Nemtsov, il voulait se venger de ce que celui-ci lui avait fait. Le désire
de vengeance me semble évident, et il s’agit d’une vengeance personnelle.
Il semblerait donc qu’il
faille chercher dans la direction de la jeune fille qui accompagnait la
victime. D’autant que celle-ci n’a pas été visée. Si elle faisait partie d’un
complot en vue de l’assassinat le tueur aurait eu tout intérêt à éliminer un
tel témoin potentiel gênant. Mais si elle est l’enjeu d’une rivalité, il est
normal que le tueur l’épargne.
La première question à
laquelle j’aimerais avoir une réponse est la suivante : Boris Nemtsov
était-il le seul partenaire de cette jeune femme ?
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