Je ne m’arrête presque
jamais aux déformations de réalité ou mensonges de mes confrères. Cela prend du
temps, il faut faire des recherches dans de nombreux journaux ou magazines,
pour quel intérêt ? Faut-il encore prouver que la presse système ne fait plus
d’information mais de la communication pour ne pas dire de la manipulation ?
Qui en doute encore ?
Mais ce matin, internet
m’a servi le sujet « sur un plateau ». Pas de recherches à faire, il suffit de
lire quatre ou cinq articles.
Tout a commencé avec le
titre accrocheur de LCI : « L'œil du web : l'invasion de l'Ukraine par la
Russie planifiée de longue date ? » Le point d’interrogation final ne vous aura
pas échappé. Point d’interrogation ou conditionnel sont devenu les alibis
habituels de ceux qui par paresse, ignorance ou pression éditoriale ne prennent
pas la peine de recouper leurs sources. Mais le lecteur non entrainé ne voit
pas ces points et c’est l’essentiel. Il se souviendra plutôt de « l'invasion de
l'Ukraine par la Russie », une invasion qui n’a pas eu lieu.
Ainsi donc, le président
russe a tout manigancé depuis le départ. Le scénario était écrit, et comme les
médias occidentaux lui donnent la paternité de tout ce qui se passe en Russie,
c’est lui qui a tout prévu et exécuté. Chapeau !
Je ne doute pas qu’il
soit un chef d’état que de nombreux citoyens du monde envient à la Russie, même
aux Etats-Unis ! Mais un tel pouvoir semble tout de même suspect, non ?
Je fais donc un détour par
« Le Parisien » qui commence son article comme suit : « Un journal russe révèle
un document qui montre comment la dégradation de la situation en Ukraine aurait
été sciemment préparée par la Russie pour servir ses intérêts. » Ici, pas de
point d’interrogation, mais le conditionnel. En plus, l’article comporte un
lien vers l’article du journal russe qui n’est autre que « Novaya Russia », un
quotidien fondé avec l’aide de Mikhaïl Gorbatchev, l’ancien président de
l’Urss.
L’auteur du papier du «
Parisien » n’a certainement pas lu l’article, sinon il ne présenterait pas
l’affaire comme il le fait. En revanche, il n’omet pas de mentionner que
plusieurs journalistes de « Novaya Gazieta » ont été assassinés ces 15
dernières années, notamment Anna Politkovskaïa, spécialiste de la guerre en
Tchétchénie.
Petit détour par le
Luxembourg et « L’Essentiel » ou j’apprends que « Toutes ces étapes qui font
qu’aujourd’hui l’Ukraine est embourbée dans un conflit inextricable étaient
inscrites noir sur blanc dans un document confidentiel du Kremlin que le
journal russe d'opposition « Novaya Gazeta » publie ce mercredi, indiquent nos
confrères de France Info. » (là aussi un lien vers le site du quotidien russe)
La Tribune de Genève
parle d’un « cessez le feu globalement respecté » mais rien du grand plan
machiavélique russe. Rien en Angleterre non plus sur ce sujet particulier.
C’est dans le « New York
Times » que j’ai trouvé la présentation la plus factuelle, avant, bien entendu,
les commentaires russophobes habituels. «
A memo drafted in the weeks leading up to the
collapse of the Ukrainian government last year recommended that Russia take
advantage of the chaos next door to annex Crimea and a large portion of
southeastern Ukraine, a Russian newspaper reported on Wednesday, printing what
it said was a document that had been presented to the presidential
administration. »
La phrase se termine par
« un document qui a été présenté (le quotidien russe dit « déposé »)
à l’administration présidentielle. » On est donc assez loin du soupçon de
manipulation des évènements. Pour le quotidien américain, le document n’a pas
été rédigé par l’administration présidentielle, mais lui aurait été « présenté
».
Voyons maintenant ce qui
dit l’article qui a lancé ce mouvement, dans « Novaya Gazeta » (je recommande
aux russophones de rendre une visite au site). « В распоряжении «Новой» оказался документ, который,
предположительно, в период между 4 и 12 февраля прошлого, 2014 года был
«занесен» в администрацию президента.»
Le journaliste russe
parle d’un document qui aurait été « hypothétiquement » « déposé » à
l’administration présidentielle entre le 4 et le 12 février 2014. Le « New York
Times » a donc vu (presque) juste. Il a seulement oublié de reproduire le mot «
hypothétiquement ». On ne retiendra pas contre lui la différence entre « déposé »
et « présenté ».
Vous imaginez une
histoire comme, par exemple : « La France avait programmé le chaos en Lybie. Un
document déposé à l’Elysée avant les bombardements et qui contient le scénario
de l’intervention le prouve ». Cela vous paraîtrait crédible ? Essayez
d’imaginer comment on peut « déposer » un document à l’Elysée. Et qui a écrit
ce document ? Je sais, un nom vous vient à l’esprit ! Ce n’est pas lui, un tel
document n’existe pas. Quel journaliste français aurait pu écrire cela ? Mais
quand il s’agit de la Russie, tout esprit critique disparaît pour peu que l’on
tienne « une bonne histoire ».
Le mémo prétendument
remis au Kremlin mentionnait une probable dislocation de l’Ukraine. Quiconque
connaît l’histoire de ce pays peut faire ce genre de pronostique. Il prévoyait
la réaction de la Crimée et l’opportunité de la faire alors rentrer dans la
Fédération de Russie. Mais depuis 1991, chaque fois qu’il se passe quelque
chose d’inquiétant en Ukraine, la Crimée se réveille et réclame son
indépendance. Ce ne sont que des évidences pour ceux qui connaissent la région
et son histoire, pas besoin d’un « mémo » pour s’en rendre comte.
Il y est dit également
que Yanoukovich ne restera pas longtemps à la tête du pays. Des prévisions
comme celle là, je peux vous en proposer une aussi : Poroshenko ne restera pas
longtemps à la tête du pays. Il le sait, d’ailleurs, il a envoyé sa famille à
l’abri à l’étranger et j’imagine que ses économies ne sont pas dans une banque
de Kiev en grivnas. Mme Nuland d’ailleurs, ne cache pas sa préférence pour le
premier ministre Arséni Yatseniuk (« Yats »).
En revanche, le mémo
recommande de saisir l’occasion pour annexer une partie de l’Ukraine, en plus
de la Crimée, mais la Russie n’en a rien fait. Il prédisait aussi une zone de
rébellion probable autour de Kharkov qui ne s’est pas matérialisée et enfin, il
ne mentionnait pas Donetsk.
Donc, avec un peu de
logique et d’esprit critique, il n’était pas difficile de démonter le
stratagème. Mais, vous n’y pensez-pas, mon bon monsieur ? Quel bon titre ! On
ne peut pas laisser passer une telle occasion, enfin !
Je faisais la remarque ce
matin par téléphone à un confrère qui est loin de partager mon point de vue sur
la région et sur la Russie en général. Il m’a répondu : « peut-être, mais c’est
la Russie ». Faut-il ajouter quelque chose ?
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