jeudi 26 février 2015

Poutine avait tout prévu !


Je ne m’arrête presque jamais aux déformations de réalité ou mensonges de mes confrères. Cela prend du temps, il faut faire des recherches dans de nombreux journaux ou magazines, pour quel intérêt ? Faut-il encore prouver que la presse système ne fait plus d’information mais de la communication pour ne pas dire de la manipulation ? Qui en doute encore ?
Mais ce matin, internet m’a servi le sujet « sur un plateau ». Pas de recherches à faire, il suffit de lire quatre ou cinq articles.
Tout a commencé avec le titre accrocheur de LCI : « L'œil du web : l'invasion de l'Ukraine par la Russie planifiée de longue date ? » Le point d’interrogation final ne vous aura pas échappé. Point d’interrogation ou conditionnel sont devenu les alibis habituels de ceux qui par paresse, ignorance ou pression éditoriale ne prennent pas la peine de recouper leurs sources. Mais le lecteur non entrainé ne voit pas ces points et c’est l’essentiel. Il se souviendra plutôt de « l'invasion de l'Ukraine par la Russie », une invasion qui n’a pas eu lieu.
Ainsi donc, le président russe a tout manigancé depuis le départ. Le scénario était écrit, et comme les médias occidentaux lui donnent la paternité de tout ce qui se passe en Russie, c’est lui qui a tout prévu et exécuté. Chapeau !
Je ne doute pas qu’il soit un chef d’état que de nombreux citoyens du monde envient à la Russie, même aux Etats-Unis ! Mais un tel pouvoir semble tout de même suspect, non ?
Je fais donc un détour par « Le Parisien » qui commence son article comme suit : « Un journal russe révèle un document qui montre comment la dégradation de la situation en Ukraine aurait été sciemment préparée par la Russie pour servir ses intérêts. » Ici, pas de point d’interrogation, mais le conditionnel. En plus, l’article comporte un lien vers l’article du journal russe qui n’est autre que « Novaya Russia », un quotidien fondé avec l’aide de Mikhaïl Gorbatchev, l’ancien président de l’Urss.
L’auteur du papier du « Parisien » n’a certainement pas lu l’article, sinon il ne présenterait pas l’affaire comme il le fait. En revanche, il n’omet pas de mentionner que plusieurs journalistes de « Novaya Gazieta » ont été assassinés ces 15 dernières années, notamment Anna Politkovskaïa, spécialiste de la guerre en Tchétchénie.
Petit détour par le Luxembourg et « L’Essentiel » ou j’apprends que « Toutes ces étapes qui font qu’aujourd’hui l’Ukraine est embourbée dans un conflit inextricable étaient inscrites noir sur blanc dans un document confidentiel du Kremlin que le journal russe d'opposition « Novaya Gazeta » publie ce mercredi, indiquent nos confrères de France Info. » (là aussi un lien vers le site du quotidien russe)
La Tribune de Genève parle d’un « cessez le feu globalement respecté » mais rien du grand plan machiavélique russe. Rien en Angleterre non plus sur ce sujet particulier.
C’est dans le « New York Times » que j’ai trouvé la présentation la plus factuelle, avant, bien entendu, les commentaires russophobes habituels. « A memo drafted in the weeks leading up to the collapse of the Ukrainian government last year recommended that Russia take advantage of the chaos next door to annex Crimea and a large portion of southeastern Ukraine, a Russian newspaper reported on Wednesday, printing what it said was a document that had been presented to the presidential administration. »
La phrase se termine par « un document qui a été présenté (le quotidien russe dit « déposé ») à l’administration présidentielle. » On est donc assez loin du soupçon de manipulation des évènements. Pour le quotidien américain, le document n’a pas été rédigé par l’administration présidentielle, mais lui aurait été « présenté ».
Voyons maintenant ce qui dit l’article qui a lancé ce mouvement, dans « Novaya Gazeta » (je recommande aux russophones de rendre une visite au site). « В распоряжении «Новой» оказался документ, который, предположительно, в период между 4 и 12 февраля прошлого, 2014 года был «занесен» в администрацию президента.»
Le journaliste russe parle d’un document qui aurait été « hypothétiquement » « déposé » à l’administration présidentielle entre le 4 et le 12 février 2014. Le « New York Times » a donc vu (presque) juste. Il a seulement oublié de reproduire le mot « hypothétiquement ». On ne retiendra pas contre lui la différence entre « déposé » et « présenté ».
Vous imaginez une histoire comme, par exemple : « La France avait programmé le chaos en Lybie. Un document déposé à l’Elysée avant les bombardements et qui contient le scénario de l’intervention le prouve ». Cela vous paraîtrait crédible ? Essayez d’imaginer comment on peut « déposer » un document à l’Elysée. Et qui a écrit ce document ? Je sais, un nom vous vient à l’esprit ! Ce n’est pas lui, un tel document n’existe pas. Quel journaliste français aurait pu écrire cela ? Mais quand il s’agit de la Russie, tout esprit critique disparaît pour peu que l’on tienne « une bonne histoire ».
Le mémo prétendument remis au Kremlin mentionnait une probable dislocation de l’Ukraine. Quiconque connaît l’histoire de ce pays peut faire ce genre de pronostique. Il prévoyait la réaction de la Crimée et l’opportunité de la faire alors rentrer dans la Fédération de Russie. Mais depuis 1991, chaque fois qu’il se passe quelque chose d’inquiétant en Ukraine, la Crimée se réveille et réclame son indépendance. Ce ne sont que des évidences pour ceux qui connaissent la région et son histoire, pas besoin d’un « mémo » pour s’en rendre comte.
Il y est dit également que Yanoukovich ne restera pas longtemps à la tête du pays. Des prévisions comme celle là, je peux vous en proposer une aussi : Poroshenko ne restera pas longtemps à la tête du pays. Il le sait, d’ailleurs, il a envoyé sa famille à l’abri à l’étranger et j’imagine que ses économies ne sont pas dans une banque de Kiev en grivnas. Mme Nuland d’ailleurs, ne cache pas sa préférence pour le premier ministre Arséni Yatseniuk (« Yats »).
En revanche, le mémo recommande de saisir l’occasion pour annexer une partie de l’Ukraine, en plus de la Crimée, mais la Russie n’en a rien fait. Il prédisait aussi une zone de rébellion probable autour de Kharkov qui ne s’est pas matérialisée et enfin, il ne mentionnait pas Donetsk.
Donc, avec un peu de logique et d’esprit critique, il n’était pas difficile de démonter le stratagème. Mais, vous n’y pensez-pas, mon bon monsieur ? Quel bon titre ! On ne peut pas laisser passer une telle occasion, enfin !
Je faisais la remarque ce matin par téléphone à un confrère qui est loin de partager mon point de vue sur la région et sur la Russie en général. Il m’a répondu : « peut-être, mais c’est la Russie ». Faut-il ajouter quelque chose ?

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