La Mairie du XVIe arrondissement
de Paris proposait, du 17 au 20 septembre, en association avec le
« Dialogue Franco-Russe », une « Semaine de la Russie ». La
cour de la Mairie était transformée en marché russe dans lequel on pouvait
acheter les livres des Editions des Syrtes et des Editions Apopsix, les livres
proposés par la Librairie du Globe, des objets d’artisanat ou des produits
d’épicerie et de traiteur. Les salons de la mairie abritaient des expositions
de photos, « La Russie vue du Train » organisée avec l’aide des
chemins de fer russes, « Moscou de 1900 à 2000 », mais aussi la
prestigieuse « Exposition Tolstoï », une plongée dans le monde du célèbre
roman « La Guerre et la Paix », ou les œuvres du peintre Serguei
Toutounov.
Cette « Semaine de
la Russie » débutait le 17 septembre, à l’Assemblée Nationale, par une
conférence et deux tables rondes présidées par le député maire du XVIe
arrondissement, Claude Goasguen et Vladimir Iakounine, co-président du Dialogue
Franco-Russe, en présence du vice ministre des affaires étrangères russe,
Alexei Mechkov et du député de la Douma Viacheslav Nikonov, président de la
fondation « Le Monde Russe ».
Les tables rondes
réunissaient des personnalités du monde des affaires et de la politique
français et russe autour de deux grands thèmes, « Partenariat franco-russe
dans les affaires, perspectives et nouvelles opportunité » et
« Surmonter la crise politique, rôles à jouer par la France et la
Russie ».
Au delà du constat commun
que les sanctions économiques n’ont jamais produit les effets recherchés, où
qu’elles aient été appliquées dans le monde (Iran, Irak ou Cuba, par exemple),
les intervenants français ont surtout insisté sur le fait qu’elles étaient
totalement contre productives et que, passé une période d’adaptation, elles
s’avèreraient plutôt positives pour la Russie et très négatives pour l’Europe
en général et la France en particulier.
Jacques Sapir a tenu à
replacer la situation dans un contexte historique élargi, alors qu’Ivan Blot
ancien député et haut fonctionnaire, regrettait, justement, le manque de
culture historique du personnel politique français qu’il connaît bien de
l’intérieur. Chacun s’est accordé pour dire que 2014/2015 avait marqué un
tournant dans les relations entre la Russie et l’Occident et qu’il n’y aurait
pas de retour en arrière à la situation antérieure à la crise ukrainienne. De
nouvelles relations sont à inventer entre des pays qui, comme la France et la
Russie sont liés par une histoire qui remonte à plus de mille ans.
Les intervenants russes
ont insisté sur le fait que la Russie ne tournait pas le dos à la France et que
les sanctions avaient été décidées par l’Union Européenne sous la pression des
Etats-Unis et que seuls ces pays pouvaient sortir de ce régime. En attendant,
la Russie a adapté son économie et les positions perdues seront à reconquérir
face à de nouveaux concurrents internationaux installés. Ils insistaient toutefois
sur le fait que, loin des feux des médias, un grand nombre de coopérations se
poursuivent entre les deux pays dans différents domaines comme le pétrole et le
gaz avec la coopération renforcée entre Total et son partenaire Novatek, dans
l’automobile, l’aviation et l’espace avec Thales, Airbus et Arianespace du côté
français. Le point noir des relations économiques est évidemment le système
bancaire et les établissements français, tétanisés par les menaces que font
peser sur eux les autorités américaines.
Les interventions de
chacun étaient particulièrement documentées et intéressantes, à tel point que
nous avons tous pu rester assis pendant près de cinq heures, sans pause et sans
ressentir aucune lassitude !
Le lendemain, je me suis
rendu à la Mairie du XVIe où j’ai visité les différentes exposition que je
mentionnais plus haut avant d’assister à la présentation du livre de Denys
Pluvinage, « Le siècle Russie », par Alexandre Troubetskoï, président
exécutif du Dialogue franco-russe et par l’auteur.
Il s’agit du livre le
plus intéressant qu’il m’ait été donné de lire sur ce sujet. Il se veut, comme
l’expliquait Denys Pluvinage un « autre regard » sur la Russie. Mais
quel regard et surtout quelle largeur d’approche ! On notera que l’auteur
a vécu plus de quinze ans en Russie, de 1992 à 2007 et qu’il parle donc
d’expérience personnelle. Mais il n’a pas cherché à présenter son seul point de
vue et s’est entouré de témoins de qualité.
La première partie du
livre est précédée par une interview de Thierry Mariani, représentant des
Français de l’étranger et co-président du Dialogue Franco-Russe. Elle est constituée
de témoignages de Français travaillant en Russie ou en collaboration directe
avec des entreprises russes. La méthode a été la suivante, dans un premier
temps, entretien de l’auteur avec le témoin, puis le texte de l’entretien a été
soumis aux différents témoins pour correction. Comme l’a expliqué Denys
Pluvinage « je voulais à tout prix
présenter des témoignages non teintés de mes positions personnelles ».
C’est ainsi que l’on peut lire ce que pensent de leur travail en Russie, Philippe
Pégorier, le président d’Alstom Russie qui vit dans ce pays depuis 1988,
Jacques de Boisséson, directeur général de Total Russie, Frédéric Pardé
directeur de la SNCF chargé des grands projet en Rusie et CEI, Richard Clément,
économiste et financier français, directeur de Gazprombank à Moscou, ou Bernard
Lozé, président de « Lozé et partenaires », une société
d’investissement très présente en Russie depuis 1992. Son témoignage a la
particularité de nous emmener dans la Russie des années 90, celle de la
transition après la disparition de l’Union Soviétique, celle où tout était à
construire dans une ambiance très « rock and roll ». Il nous donne
une approche pratique et personnelle de la privatisation que si peu de
personnes connaissent en Europe et dont il est question dans la partie de ce
livre consacrée à la Russie contemporaine. Il l’a vécue précisément dans le
domaine où cette privatisation s’exprimait, à savoir les opérations
financières. La première partie du livre se termine sur le témoignage de deux
entrepreneurs français qui se sont installés à Moscou pour y créer une société
de conseil en recrutement (Alexandre Stefanesco) et un « incubateur »
d’entreprises françaises (Yannick Tranchier).
Certains d’entre eux
expriment comment la vie en Russie leur a fait redécouvrir des valeurs qui leur
sont chères, comme Frédéric Pardé qui commence par expliquer comment son
premier séjour en Russie a modifié sa vision du pays : « Rien ne s’est pas passé comme nous nous y
attendions. Tous nos clichés et nos préjugés sur le pays et les gens ont volé
en éclat. » Il conclut ainsi son témoignage : « Quand je suis arrivé en Russie, j’ai
tout de suite retrouvé un certain nombre de valeurs que j’apprécie et que je n’ai
pas rencontrées ailleurs, comme lla qualité des relations humaines,
l’amour de la connaissance et de la culture, le respect de l’histoire. D’un
coup, j’ai retrouvé en Russie un monde plus proche et dans lequel beaucoup de
français se retrouvent, il me semble ».
D’autres expliquent que
la vie en Russie a fait changer le regard qu’ils portent sur l’Europe et sur la
France, comme Richard Clément : « Assez
naturellement, j’en suis venu à pousser le raisonnement un cran plus loin, à
force de constater l’écart entre le discours des institutions européennes sur
une Russie hostile et la réalité que j’observais. Ces institutions se veulent
le temple des valeurs européennes et les gardiens de la paix continentales.
Soit ! Et si le même écart existait en Europe, si les instances
européennes étaient moins européennes et pacifiques qu’elles le
prétendent ? La question mérite d’être posée ».
Pour Jacques de Boisséson
qui a une longue expérience internationale chez Total, « Si l’on ne fait pas l’effort d’aimer le pays, on trouvera
toujours qu’il y faut trop froid, ou qu’il y fait trop chaud. Je l’ai vu dans
d’autres pays aussi. L’important c’est l’état d’esprit dans lequel on aborde le
pays et ses habitants. La Russie a des côtés aimables et elle a des côtés
désagréables. Si vous vous arrêtez aux côtés désagréables, ce que vous pouvez
parfaitement faire, vous ne réussirez jamais à faire quoi que ce soit en
Russie. C’est comme en amour, l’amour se construit, il n’y a pas que des bons
côtés. Si vous avez décidé que vous alliez aimer la Russie, elle a tout pour
être aimée ».
La deuxième partie du
livre est faite de chapitres écrits par des universitaires français ayant une
expérience personnelle de la Russie. Le chapitre sur l’économie est signé par
Jacques Sapir, Directeur d’Études à l’Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociale (EHESS) et Directeur du Centre d'Études des Modes d'Industrialisation
(CEMI-EHESS), spécialiste de l’économie de l’URSS d’abord, puis de la Russie. Il
explique que l’un des effets importants des sanctions est un changement du modèle
de développement à partir d’une volonté de construire une nouvelle autonomie
par rapport aux marchés financiers occidentaux.
Le chapitre sur le système politique russe a été rédigé
par Jean-Robert Raviot, professeur des universités, titulaire d'un doctorat en
science politique à l'IEP de Paris, professeur à Paris Ouest Nanterre La
Défense, au département d’études slaves, et à l’Institut d’Etudes Politiques de
Paris. Il a effectué plusieurs séjours d’études en Russie, parfois de longue
durée, en particulier à l'Institut de l'Economie Mondiale et des Relations
Internationales de Moscou (IMEMO). Jean-Robert Raviot est l’auteur de deux
livres sur la Russie, « Qui dirige la Russie » aux éditions Lignes de
Repères, Paris 2007 et « Démocratie à la russe », aux éditions
Ellipses, Paris 2008.
Philippe Migault, auteur du chapitre sur la géopolitique
de la Russie est directeur de recherche à l'Institut des Relations
Internationales et Stratégiques (IRIS). Ses principaux domaines d’expertise
sont les questions diplomatiques et stratégiques, les conflits armés et les
industries de l'armement.
L’Union Economique Eurasiatique, un moteur important du
développement économique de la région nous est présenté par Hélène
Clément-Pitiot, économiste, maître de
conférences et directeur de recherches au CEMI-EHESS depuis 1998.
Le prince Alexandre Troubetzkoï décrit dans un chapitre
consacré aux relations franco-russes plus de mille ans d’une histoire dans
laquelle certains membres de sa famille ont joué un rôle actif, ce qui rend le
témoignage encore plus passionnant.
Enfin, l’auteur du livre, Denys Pluvinage présente dans
plusieurs chapitres de cette deuxième partie l’histoire récente de la Russie de
1985 à 2015, dans le style vivant et intéressant d’un témoin de première main
de cette période de bouleversements économiques, politiques et sociaux qui est
si peu présentée dans les médias occidentaux mais dont la connaissance est
indispensable à toute personne qui prétendrait connaître la Russie
d’aujourd’hui.
Dans la troisième partie, il présente les aspects
concrets de la vie sociale et des affaires en Russie d’un point de vue
culturel. Vous y trouverez une description précise et parfois amusante des
règles d’étiquette et de comportement, mais surtout des outils pour mieux comprendre
les réactions de vos interlocuteurs russes qui souvent vous paraissent
surprenants, incompréhensibles voir même, quelque fois inquiétants. Cette
compréhension des comportements fondée sur la prise en compte des différences
entre la culture russe et la culture française vous ouvrira un monde nouveau
dans vos relations avec la Russie et avec les Russes.
En ce qui me concerne, elle a augmenté, non seulement ma
compréhension des comportements russes mais aussi des comportements français et
de mes propres comportements.
La première question qui a été posée à l’auteur après sa
présentation était le suivante : « Pourquoi ce titre Le Siècle Russie et pourquoi pas Le Siècle Russe ou
le Siècle de la Russie ? » A quoi il a répondu : « J’ai choisi ce titre car il éclaire le rôle
central que joue la Russie, « ici et maintenant », dans une
phase critique de l’évolution géopolitique du monde. Quelle que soit l’issue de
l’affrontement actuel, la Russie en aura été à la fois l’élément déclencheur, l’acteur
central, le héros. Quelle que soit la façon dont se terminera cette lutte
sauvage, la Russie aura marqué le XXIe siècle de son empreinte. Le grand
problème du moment, celui qui agite les esprits, inquiète les dirigeants et a
déjà provoqué tellement de violence et de destructions est celui de l’ordre
mondial. Que l’on ne s’y trompe pas, c’est cela l’enjeu de la crise actuelle.
Personne ne peut plus faire marche arrière dans cet affrontement dont les
enjeux principaux ne sont pas l’Ukraine et le Donbass mais l’organisation du
monde (unipolaire ou multipolaire) ».
Je pensais bien connaître
la Russie, mais ce livre m’a fait faire encore un grand nombre de découvertes.
Toutes les personnes qui s’intéressent à la Russie, aux relations franco-russes
et, à fortiori, ceux qui doivent travailler en Russie ou avec des Russe
devraient lire ce livre.
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