vendredi 19 février 2016

Vers la Troisième guerre mondiale ?


Ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je me garde habituellement de tout sensationnalisme ou catastrophisme. Mais de plus en plus d’événements et de déclarations d’hommes politiques de différents pays pointent vers ce danger majeur. Ce qui rend les choses graves, à mon avis, c’est que, du côté américain, les voix les plus agressives sont celles qui ont le meilleur accès aux médias de masse.
Nous avons passé il y a quelques années déjà, un cap important : les nouveaux dirigeants des principaux pays de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Occident » n’ont pas connu la deuxième guerre mondiale, ils ne savent pas au plus profond d’eux-mêmes, comme le savaient leurs prédécesseurs, les ravages d’une guerre. Ils n’ont pas connu l’accumulation des morts, des morts le plus souvent pour rien, simplement pour aboutir à un accord que l’on aurait pu atteindre en faisant l’économie de cette guerre. Les morts n’ont servi, le plus souvent, qu’à faire accepter ce qui semblait inacceptable avant le déclenchement de la guerre. Ceux qui n’ont pas connu la guerre ne savent pas. Ils ont bien une connaissance « intellectuelle » du drame que constitue une guerre, pour ceux, au moins, qui ont des connaissances historiques, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous. Mais seule une connaissance « émotionnelle » peut empêcher des dirigeants de commettre l’irréparable.
Aux Etats-Unis la majorité des dirigeants actuels n’ont connu que des guerres lointaines auxquelles ils n’ont pas participé, mais ils font preuve d’une incapacité quasi pathologique à prendre le passé en compte dans leurs raisonnements. C’est pourquoi ils sont capables de commettre les mêmes erreurs, poursuivre les mêmes politiques qui n’ont pas fonctionné dans l’espoir vain que « plus de tout » finira par donner les résultats escomptés.
L’armée américaine présente un peu partout dans le monde n’a pas gagné une seule guerre depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a cependant réussit à semer le chaos dans un grand nombre de régions, en particulier au Moyen Orient. Cela n’empêche pas Barak Obama de proclamer, comme, d’ailleurs, son prédécesseur que les Etats-Unis sont le « pays élu » qui doit veiller sur l’ordre du monde et que l’armée américaine est « la meilleure force de combat que le monde ait connu » (« The finest fighting force in the history of the world »). Que des citoyens américains aient ce genre de pensées me semble parfaitement normal. Mais que ceux qui sont supposés diriger un pays qui est un de ceux dont dépend le futur, voir l’existence même du monde a quelque chose d’effrayant.
C’est d’autant plus effrayant que bon nombre de politiques américains n’ont pas abandonné leur rêve de changement de régime en Russie. Les résultats obtenus dans d’autres pays[1], bien plus petits, bien moins importants, bien moins armés ne les font apparemment pas réfléchir. Ils poursuivent donc leur politique agressive, la diabolisation du président russe, l’extension de l’Otan toujours plus près des frontières russes, les sanctions économiques qui ne font souffrir que les Européens, les provocations en Ukraine après la Géorgie et maintenant en Syrie avec l’aide d’un président turc qu’ils croient manipuler mais qui ne joue que son propre jeu.
Au mois de janvier dernier, on a pu croire à la possibilité d’une coopération dans la lutte contre l’Etat Islamique. Les espoirs ont été vite déçus et il y a quelques jours, le secrétaire d’état Ashton Carter a déclaré que la Russie était l’ennemi principal des Etats-Unis, avant la Chine, avant le Corée du Nord, avant l’Etat Islamique !
Deux des plus grands hommes d’état américains, d’après Stephen Cohen, se sont élevés contre cette politique. Tout d’abord Henri Kissinger qui était à Moscou la semaine dernière. Kissinger connaît bien Vladimir Poutine, il l’a rencontré pour la première fois au début des années 90 quand Vladimir Poutine travaillait à la mairie de Saint-Pétersbourg avec le maire de l’époque Anatoly Sobtchak et ils ont continué à se rencontre tous les ans. Le second de ces vrais homme d’état au sens que Winston Churchill donnait aussi à ce terme, William Perry, ancien secrétaire d’état à la défense de William Clinton déclarait récemment : « Le danger d’une catastrophe nucléaire est aujourd’hui, à mon avis, plus grand qu’il ne l’a été pendant la Guerre Froide… et pourtant, notre politique ne tient pas compte de ces dangers » (“The danger of a nuclear catastrophe today, in my judgment, is greater than it was during the Cold War…and yet our policies simply do not reflect those dangers,” said Perry[2], who is a faculty member at Stanford’s Center for International Security and Cooperation).
Pour Stephen Cohen qui s’exprimait ainsi dans l’émission de John Bachelor[3] reprise par le magazine américain « The Nation » (« The John Bachelor show »), les hommes politiques américains ne sont pas à la hauteur de la situation. Les provocations vis à vis de la Russie se poursuivent, montrant qu’à Washington, un certain nombre de politiciens n’ont pas abandonné leur rêve de changement de régime en Russie.
Ainsi, le président ukrainien déclarait récemment qu’il avait décidé de ne pas appliquer les accords de Minsk, pourtant garantis par l’Allemagne et la France, à côté de la Russie, sans déclencher de réaction ni du côté européen, ni du côté américain. De leur côté, les Etats-Unis annonçaient leur intention de quadrupler les dépenses militaires de l’Otan en Europe. C’est la première fois qu’autant de forces de l’Otan se massent à la frontière russe. La Russie répond en déplaçant  ses forces nucléaires vers l’ouest du pays. Elle organise également des manœuvres de grande ampleur dans le sud ouest du pays et un responsable militaire russe annonce qu’il s’agit aussi d’un signal en direction de la Turquie !
Car c’est du côté de la Syrie que vient le réel danger aujourd’hui. Les Etats-Unis ont abandonné le dossier ukrainien à l’Union Européenne qui, elle, a autre chose à faire qu’à s’occuper de ce dossier pourtant si important pour l’avenir de l’Union Européenne et de ses relations avec la Russie.
En Syrie, deux acteurs commencent à s’agiter dangereusement, la Turquie et l’Arabie Saoudite. Les deux ont mentionné la possibilité d’une intervention militaire sur le terrain et c’est cette intervention qui pourrait déclencher l’irréparable. N’oublions pas que la Russie a actuellement quelques vingt mille soldats sur le territoire syrien. Que fera-t-elle pour les protéger en cas d’invasion par ces deux pays. Seule les Etats-Unis ont le pouvoir d’empêcher leurs deux alliés de mettre ces projets à exécution. Mais ce pouvoir est-il encore réel ? Du côté turc, Recep Tayyip Erdogan semble prêt à tout pour défier la Russie comme il l’a montré en faisant abattre le bombardier russe au dessus de la Syrie. Il se croit protégé par son appartenance à l’Otan. Cette protection a des limites, mais en est-il conscient ? Le lui a-t-on expliqué ? L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord prévoit qu’en « cas d’attaque d’un des pays membres, les autres pays prendront les mesures qu’ils jugeront nécessaires, y compris (mais donc pas nécessairement) l’usage de la force armée pour rétablir et maintenir la sécurité de la zone de l’Atlantique Nord[4] ». On connaît la réticence des Etats-Unis à signer des accords qui les entraineraient de façon automatique dans des actions extérieures.
Peut-on faire confiance au dirigeant turc dont les accès de mégalomanie et le mépris des lois de son propre pays est notoire.
La partie saoudienne n’est guère plus rassurante. L’inexpérience et l’agressivité du Prince Mohammad bin Salman, fils du roi Salman et ministre de la défense du royaume ne porte pas à l’optimisme. On en revient donc à Barak Obama et à l’évaluation de sa capacité à retenir les dirigeants des deux pays.
Dans un article paru sur son site, le journaliste d’investigation américain Robert Parry[5] ne semble pas convaincu que le président américain ait la volonté de s’opposer à l’Arabie Saoudite et à la Turquie. Et il semblerait qu’il ne soit pas le seul dans son cas. D’autres personnes doutent de la volonté d’Obama et c’est pourquoi certaines des sources de Robert Parry lui donnent des informations classées. Ainsi, Parry peut-il écrire : « Une source proche du président Vladimir Poutine m’a dit que la Russie avait prévenu Erdogan qu’elle était prête, en cas de besoin, à utiliser des armes nucléaires tactiques pour protéger ses troupes face à une attaque turque ou saoudienne». (« A source close to Russian President Vladimir Putin told me that the Russians have warned Turkish President Recep Tayyip Erdogan that Moscow is prepared to use tactical nuclear weapons if necessary to save their troops in the face of a Turkish-Saudi onslaught.”). Jusqu’à présent, et cela fait de nombreuses années que je lis les articles de Robert Parry, il n’a jamais mentionné de sources « proches de Vladimir Poutine ». En revanche, il mentionne souvent des sources internes aux services de sécurité américains. Je pense donc que l’information lui a été fournie par une de ces sources qui lui a parlé afin que la nouvelle soit rendue publique pour faire pression sur Barak Obama. Quant aux services américains, ils tiennent certainement la nouvelle de la Russie elle-même qui aura prévenu les Etats-Unis et l’Otan de ses intentions comme elle le fait régulièrement.
Ce qui amène Robert Parry à poser la question suivante : « Allons-nous risquer une guerre nucléaire pour AlQaïda ? » Barak Obama a cherché et cherche à calmer son dangereux allié Erdogan, mais il ne semble pas, pour l’instant au moins, décidé à interdire directement toute intervention au sol en Syrie. Le dilemme, pour lui, est que des alliés traditionnels des Etats-Unis comme la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar sont les principaux soutiens et « banquiers » de divers groupes terroristes sunnites comme le Front Al Nusra, un allié d’Al Qaïda et dans une moindre mesure, de l’Etat Islamique.
Cette situation ne date évidemment pas d’hier et comme le mentionne Robert Parry dans son article, un rapport de la DIA (Defense Intelligence Agency) daté d’août 2012 faisait état du danger que représentait la montée en puissance d’Al Qaïda et d’autres groupes djihadistes sunnites en Syrie qui pourrait amener la création d’un « état islamique » dont les membres pourraient ensuite retourner en Irak d’où la plupart d’entre eux venait. Malgré tout, les Etats-Unis ont continué à soutenir ces mouvements prétendant qu’il s’agissait d’une « opposition modérée », opposition qui présentait, pour les mouvement plus violent, la possibilité de recevoir des approvisionnements en armes et munitions américaines.
Aux Etats-Unis mêmes, Barak Obama est soumis à une intense pression du parti de la guerre dont le porte parole, le quotidien « The Washington Post » déplore l’action « sauvage » de la Russie en Syrie[6], contre l’opposition modérée, dans laquelle l’éditorialiste semble ranger le Front Al Nusra !
Robert Parry va jusqu’à envisager, dans la conclusion de son article la possibilité que les Etats-Unis fassent cause commune avec la Turquie et l’Arabie Saoudite dans l’invasion de la Syrie. Non pas officiellement, bien sûr. Il pense que l’opération pourrait être présentée comme une sorte de « mission humanitaire ».
Pourtant, la Russie l’a dit clairement, « toute intervention au sol sans l’aval officiel de Damas sera considéré comme une déclaration de guerre ». Evidemment s’il juge la détermination russe à l’aune de sa propre détermination, ce qui serait logique, Obama peut penser que la Russie a tracé là une « ligne rouge » qu’elle ne défendra pas, comme lui même l’avait fait avec l’utilisation d’armes chimiques. Mais le président russe n’est pas de la même trempe. Il prévient sans vraiment menacer et agit ensuite suivant ce qu’il avait annoncé. C’est vrai qu’il est peut-être le seul à se comporter de la sorte aujourd’hui, mais il faudrait tout de même y réfléchir, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés !
La Russie n’a fait que deux déclarations à propos d’une éventuelle invasion : la première « si des troupes d’une quelconque nation entrent en Syrie sans la permission de Damas, ce sera considéré comme une déclaration de guerre » et la deuxième, « les Américains, le président américain et nos partenaires arabes doivent se demander s’ils souhaitent une guerre permanente ».
Certains états arabes se comportent encore comme s’ils se disaient « les Russes n’oseront pas ». Après ce qui s’est passé en Lybie, je ne parierais pas grand chose là dessus !
Le dernier attentat qui a tué au moins vingt huit personnes à Ankara n’a certainement pas arrangé la situation. Les autorité turques ont accusé les Kurdes. Erdogan est resté plus vague, selon un article du Wall Street Journal, il aurait déclaré : « Ceux qui pensent pouvoir détourner notre pays de ses objectifs en utilisant le terrorisme vont voir qu’ils ont échoué ». A qui pense-t-il en disant cela, les Kurdes, l’Iran, la Russie ?

jeudi 4 février 2016

Défilé pathétique à Moscou


Depuis quelques mois, des chefs de gouvernement, des ministres européens défilent à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev ou encore Serguei Lavrov. Du côté français on a vu François Hollande, Segolène Royal, Stéphane Le Fol ou Emmanuel Macron. En décembre, c’est Jean-Yves Le Drian qui rencontrait à Moscou son homologue russe Serguei Shoïgou. Contrairement à ce qu’a raconté l’AFP, l’ambiance de la rencontre a été plutôt chaleureuse, le ministre français rappelant, dans sa déclaration liminaire, les combats et les victoires conjointes pendant la seconde guerre mondiale et insistant sur sa visite, la veille, au monument aux morts pour honorer le 70e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Une façon de montrer ses regrets de ne pas avoir assisté au défilé du 9 mai l’année dernière. La France, sous la pression de « qui vous savez » avait fait comme la plupart des pays européens dans le but assez cocasse d’« isoler la Russie ». L’isoler de qui ?
Tous ces responsables politiques français lors de leur passage à Moscou ont exprimé leur désir de voir le régime des sanctions contre la Russie aboli le plus rapidement possible. Emmanuel Macron, prudent, a tout de même rappelé que ces sanctions dépendaient de la situation en Ukraine (il n’est quand même pas allé jusqu’à mentionner la Crimée). Stéphane Le Fol a rappelé ce que les sanctions coûtaient à l’agriculture française.
Le Vice-Chancelier autrichien,  Reinhold Mitterlehner, de passage à Moscou lui aussi, déclarait récemment qu’il était pour la levée des sanctions mais que la décision ne dépendait pas de lui.
Mais tous n’avaient pas besoin de passer par Moscou pour déclarer leur « opposition » aux sanctions. Le premier ministre italien l’a fait, en Allemagne, Matthias Platzeck ancien président de la chambre haute du parlement allemand rappelait hier qu’il s’était opposé aux sanctions depuis le début. En janvier, Wolfgang Ischinger, le président de la « Conférence de Sécurité de Munich » déclarait que les entreprises allemandes voulaient une levée des sanctions « aujourd’hui, pas dans un an ». En décembre, le président de la Chambre de Commerce Germano-Russe, Rainer Seele tenait le même langage. Mais, le 1er février, Mme. Merkel, elle, annonçait que les sanctions allaient être maintenues jusqu’à nouvel ordre.
Je ne mentionne pas les députés d’opposition français qui défendent aussi ces position, après tout ils n’ont pas le pouvoir pour le moment, donc leurs déclarations n’ont pas le même poids politique.
Ainsi donc, à quoi jouent nos dirigeants. A les entendre, ces sanctions sont une mauvaise idée et il faudrait les lever sans délai (ou presque). Mais quand la question vient sur la table de la commission européenne, les sanctions sont reconduites « à l’unanimité » comme en fin d’année dernière (sanctions reconduites jusqu’au 31 juillet 2016).
On peut donc se poser légitimement la question de savoir qui nous dirige. C’est en cela que je trouve ces positions « pathétiques ». Essaient-t-ils encore de nous faire croire que ce sont eux qui dirigent ? Dans ce cas, il le feraient de la manière la plus maladroite qui soit. Leurs déclarations sont régulièrement contredites par la Commission Européenne. Ou alors, serait-il possible qu’à force de faire eux-mêmes, dans leurs discours politiques, des promesses dont ils savent bien qu’ils ne pourront les tenir, il ne saisissent pas ici la nuance ?
Il semblerait donc bien que, dans le cas des sanctions contre la Russie, ce soit le Commission Européenne qui soit à la manœuvre. Si elle contredit les promesses des dirigeants politiques des pays membres, on est fondé à se demander en fonction de quoi prend-elle ses décisions.
Je vois deux éléments de réponse à cette question. La première se trouve dans la réaction des dirigeants américains à ce qui se passe actuellement en Europe. Ainsi,  « Depuis plusieurs mois, j'ai entendu dire que de nombreux pays, surtout l'Allemagne, connaissent une forte pression visant à annuler les sanctions, la décision définitive sur la levée des sanctions dépendra dans une certaine mesure du leadership américain » déclarait le sénateur John McCain. « Il est important pour moi que nous continuions à lancer ce message: si vous vous comportez mal, nous continuerons d'introduire les sanctions ». Nous savons tous ce que les dirigeants américains entendent par « se comporter mal »…
Le deuxième élément de réponse se trouve dans la façon dont sont menées les négociations à propos du TTIP, entre la Commission Européenne et les Etats-Unis, des négociations dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont menées dans un climat d’opacité très supérieur à la moyenne ! Dans un article publié par le quotidien anglais « The Independant », l’auteur, John Hilary rapporte une interview qu’il a eue avec le Commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, qui succède à ce poste à Peter Mandelson. Il lui fait remarquer qu’une importante opposition à ce traité qu’elle négocie à huis clos s’est exprimée sous la forme de milliers manifestations dans la plupart des pays européens et d’une pétition signée par 3,25 millions de citoyens européens. Dans sa réponse, Mme Malmström reconnaît qu’aucun projet de traité n’a jamais rencontré une telle opposition mais ajoute que, de toute façon, elle « ne tient pas son mandat du peuple européen ».
John Hilary, dans la suite de son article explique que Cecilia Malmström, prend ses instructions auprès de lobbies industriels comme « Business Europe » ou le « European Services Forum ». Il n’est donc pas étonnant que le TTIP serve les intérêts des multinationales plutôt que les besoins des populations européennes.
Cela se traduit en particulier par la possibilité qui serait donnée aux entreprises internationales de poursuivre les états pour « pertes de profits ». Ce serait la généralisation du mécanisme de règlement des litiges entre l'investisseur et l'Etat (ISDS) par des tribunaux d'arbitrage autorisant les entreprises privées à poursuivre les gouvernements nationaux pour perte de profits. « The Independant » rappelait ainsi récemment que le Royaume-Uni a été contraint de payer huit millions d'euros au groupe Eurotunnel à titre d'indemnisation des dépenses assumées par ce dernier entre 1999 et 2002 pour empêcher les migrants d'entrer sur le territoire britannique.
Pour se rendre compte du danger d’une telle mesure, il suffit de considérer ce qui arrive au Canada qui a signé l’accord Tafta avec les Etats-Unis, accord dans lequel une telle disposition est inclue. Entre 1995 et 2005, d’après le Huffington Post Canadien, le pays a été attaqué douze fois par des multinationales sous couvert de cette disposition (« Chapitre 11 ») alors qu’entre 2005 et 2015, il l’a été 23 fois. Soixante trois pour cent de ces attaques concernaient des législations sur la protection de l’environnement et lorsque le gouvernement a perdu ces arbitrages il a été obligé de modifier ou de supprimer les législations en cause. Il y a actuellement huit affaires en cours, toutes intentées par des société américaines pour un montant total de six milliards de dollars.
Il apparaît donc que la Commission Européenne prépare la signature d’un traité taillé sur mesure pour les multinationales (les plus importantes sont américaines) au mépris des intérêts des citoyens européens. Mais comment s’en étonner après que Jean-Claude Junker ait déclaré à propos de la Grèce :  « Il ne peut pas y avoir de choix populaire contre les traités européens » !
Pendant ce temps là, les Etats-Unis ont signé hier, officiellement le TTP, équivalent asiatique du TTIP avec l'Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. A la suite de cette signature, la Maison Blache a publié un communiqué dans lequel le président Obama se félicitait de la signature d’un accord qui «renforcera notre leadership à l'étranger et soutiendra les emplois ici aux Etats-Unis»[1]. Doit-on parler de cynisme, de franchise ou de maladresse ? En tout cas, ce traité doit encore être ratifié par les parlements des différents pays et cela pourrait poser des problèmes, même avec le sénat américain.
Quand le sort de l’Europe se joue à huis clos entre une Commission Européenne acquise aux intérêts des multinationales et les représentants du « Business » américain, sur le dos des citoyens, il est vraiment pathétique d’entendre nos dirigeants parler de faire des choses dont ils savent pertinemment que « Bruxelles » ne les laissera pas les faire. Ont-ils vraiment perdu le sens de la réalité, ou cherchent-ils maladroitement à cacher une impuissance à laquelle ils se sont résignés sans combattre ?