Un professeur de Sciences Po aime commencer son cours par
cette phrase : « La Russie est le trou noir du monde ». En
lisant la presse américaine et la presse européenne qui n’en est souvent qu’une
traduction, on pourrait penser, au contraire, que la Russie est devenu le
centre du monde.
Elle a pris la main au Moyen Orient où elle est sur le point
de redresser la situation de la Syrie, empêchant par là même Daech de prendre
Damas comme cela aurait été le cas si le génial ministre des affaires
étrangères français avait eu gain de cause en ce qui concerne le président syrien.
Elle est devenu le seul pays capable de parler avec tous les protagonistes du
drame qui se joue là-bas.
Elle a largement participé à l’accord des pays producteurs
de pétrole qui ont accepté de réduire leur production pour soutenir les cours.
Elle met en place un réseau de distribution de gaz[1]
qui assurera l’approvisionnement de l’Europe sans être soumis aux caprices
ukrainiens.
Voilà pour le concret, et la liste n’est pas exhaustive.
Passons maintenant dans le domaine de l’imaginaire, le
domaine du « récit convenu » en provenance principalement des Etats-Unis.
Selon ce « récit convenu », les chaînes d’information
russes inondent l’occident de leur propagande et ont fait perdre aux populations
le sens du réel, du vrai. Comme chacun sait, l’information des uns est la
propagande des autres. Les dirigeants occidentaux qui depuis des dizaines d’années
s’ingénient à étendre un voile opaque sur leurs activités sont effectivement
très contrariées que quelqu’un ait le front de venir exposer publiquement ce qu’ils
cherchent à cacher.
Quelle audace ! Depuis plus de soixante ans, l’Union
Européenne, le projet supra national de Jean Monnet et de son équipe, est
construite patiemment dans une grande opacité[2]
pour aboutir à ce monstre administratif qui se croit maintenant assez fort pour
braver la démocratie, et la souveraineté des états, comme en Grèce.
Souvenez-vous de ce que disait Jean-Claude Junker : « il ne peut y
avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Les
populations européennes supportent de moins en moins la férule de Bruxelles et
le disent dans des référendums, mais c’est « la Russie de Poutine »
qui est la cause de cette réaction en raison de la « propagande » de la
chaîne de télévision RT et de l’agence d’informations Spoutnik.
Horreur, la main de Vladimir Poutine est derrière la
décision du peuple britannique de sortir de l’Union Européenne.
Les Etats-Unis votent en novembre pour élire un nouveau
président. Le vainqueur n’est pas le favori des responsables politiques
américains, des dirigeants européens et des médias, donc le vote a été faussé.
Qui est coupable ? « La Russie de Poutine » évidemment. Le
peuple a mal voté comme en Grande Bretagne. Ici ce n’est pas la « propagande »
des médias russes qui est responsable, mais l’intervention directe de hackers
qui ne peuvent être que russes. Dans un article daté du 12 décembre, le « New
York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un
plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site
du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non
seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président
russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves
circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un
tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la
réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas
faire face.
Le grand cirque américain de l’intrusion russe dans les
élections américaines a commencé pendant la campagne électorale, un moment où
la réflexion est à son niveau le plus bas et où tout argument est bon s’il
affaiblit la position de l’adversaire. Ce sont les Démocrates qui ont « invité »
la Russie dans la campagne car ils pensaient que cela affaiblirait Donald Trump
qu’ils présentaient comme une marionnette de Vladimir Poutine. Argument
surprenant, mais encore une fois, dans le feu de l’action on réfléchit moins
que d’habitude, si tant est que d’habitude on réfléchisse vraiment.
Mais l’élection est terminée, les Etats-Unis ont un
président. Qu’il plaise ou non à « l’establishment », il n’en est pas
moins le président. On nous dit que le système électoral compliqué est la
raison de la défaite de Madame Clinton qui pourtant avait la majorité des voix
de la population. Sans doute, mais le système électoral est en place depuis
1789. Donald Trump n’est pas le premier président élu avec une minorité des
voix de la population.
Il serait donc temps de réfléchir aux arguments que l’on
utilise pour essayer de décrédibiliser le président élu. Je n’ai évidemment pas
d’informations confidentielles me permettant d’opter pour une version ou une
autre aussi me contenterai-je de considérer des hypothèses et de me poser des
questions.
Quel intérêt la Russie aurait-elle eu à favoriser Donald
Trump ? Il a, bien sûr, annoncé son intention de discuter avec la Russie.
Mais il a aussi expliqué qu’il voulait le faire à partir d’une position de
force et a annoncé une augmentation du budget de la défense. Il a annoncé qu’il
voulait cesser d’intervenir militairement dans des pays qui ne menacent pas
directement les Etats-Unis. On pense tout de suite au Moyen Orient, mais la
Russie a déjà pris la main dans cette région. De plus, le président américain n’est
pas tout puissant dans son pays. Les Russes comme le reste du monde savent bien
comment le Département de la Défense et les différentes agences de sécurité ont
contrecarré les initiatives de Barack Obama en politique étrangère. Et puis Donald
Trump était, il est toujours, d’ailleurs, une quantité largement imprévisible,
alors qu’Hillary Clinton est bien connue des autorités russes qui ont eu
affaire à elle pendant de nombreuses années.
Pour beaucoup d’hommes politiques russes à qui j’ai pu
parler, un interlocuteur difficile mais prévisible et professionnel est
largement préférable à un interlocuteur imprévisible même s’il peut paraître à
première vue plus favorable.
Ces arguments, j’en conviens peuvent ne pas paraître
convainquants à certains. Passons donc aux faits concrets. On nous explique que
des hackers ont attaqué des systèmes informatiques aux Etats-Unis. Je doute que
cela soit une première. Je pense plutôt que dans la plupart des pays, des
pirates informatiques attaquent à longueur d’année de nombreuses cibles, dans
un but d’espionnage politique, diplomatique ou économique.
Des hackers russes auraient donc réussi à pirater des
systèmes informatiques américains ? Ceux-ci ne sont-ils donc pas protégés ?
Le piratage a duré dans le temps bien après les premières annonces. Les Etats-Unis
ne seraient-t-ils donc pas capables de défendre leurs réseaux ? Comment alors
ont-ils pu mettre en place le système de surveillance généralisée dont nous ont
parlé Edward Snowden et d’autres « lanceurs d’alertes » ? Les
Russes auraient-ils pris le dessus dans ce domaine-là aussi ?
Il est vrai qu’ils font très peur. C’est d’Allemagne que
nous viennent maintenant des manifestations d’inquiétude. Les hackers russes,
après le « Brexit » et l’élection de Donald Trump vont-ils perturber les prochaines élections
allemandes ?
Tout ceci semble bien difficile à croire. Mais le déchaînement
de haine est tel, dans certains camps[3]
que beaucoup de politiques et de journalistes sont malheureusement descendus au
niveau zéro de la réflexion politique.
[1] Deuxième gazoduc sous la Baltique, nouveau gazoduc
vers la Turquie sous la Mer Noire.
[2] Voir l’excellent livre de Christopher Booker et Richard
North publié chez « l’Artilleur » avec une préface de Jacques Sapir
[3] Cf. les déclarations du sénateur John McCain qui
traite Vladimir Poutine de « voyou » et « d’assassin ».
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