Dear Mary
J’ai lu également le livre de Denys Pluvinage auquel tu
fais allusion. J’ai beaucoup aimé tes commentaires de Californienne
Démocrate. Tu sais, je pense, que je connais l’auteur du « Spectacle de
la Démocratie ».
Ta critique concernant l’approche de la politique
intérieure a particulièrement attiré mon attention. Cette vision selon laquelle
« tout vient de Washington » est sans doute une conséquence de la
culture politique française jacobine dans laquelle tous les pouvoirs (ou
presque) sont concentrés entre les mains du pouvoir central. Cela dit, est-ce
que cela remet en cause l’analyse ? Il me semble évident, à la réflexion,
qu’il aurait fallu un niveau d’analyse supplémentaire, le niveau des états.
En ce qui concerne le président Trump, j’aurais quelques
remarques à faire :
- il a été élu sans fraudes majeures par la population
américaine suivant le système électoral légal
- c’est le quatrième président élu avec une minorité des
voix populaires
- les trois millions de voix de différence en faveur de Hillary
Clinton viennent en grande majorité de deux états, la Californie et l’Etat de
New-York, deux bastions démocrates
- il a été élu en dépit d’un soutien massif des médias en
faveur de Hillary Clinton
- mais surtout il a éliminé un à un ses adversaires
républicains pendant les primaires
Par conséquent, vu de l’extérieur il y a un certain paradoxe
dans les réactions de beaucoup d’électeurs. J’ai failli écrire « de la
population » mais quel pourcentage de la population représentent les
personnes que l’on voit dans la rue, filmés avec complaisance par les médias ?
Ce mouvement organisé, a toutes les apparences des « révolutions de
couleur[1] »
organisées par des intérêts américains dans de nombreux pays. Ce que certains
appellent « regime change ». Selon des informations sérieuses, M.
Soros ne serait pas étranger à cela. On peut imaginer que, dans ce cas
particulier l’USAID, elle, n’apporte pas ses financements…
Mais les méthodes sont les mêmes. On met en cause, par tous
les moyens, la légitimité de celui qui a été élu. Pour cela tout est bon. L’inévitable
responsabilité russe pour commencer. Il est étonnant d’ailleurs de constater la
« puissance » d’un pays que Barack Obama qualifiait quelques semaines
avant de « puissance régionale ». Ce serait donc la Russie qui aurait
fait élire Donald Trump ? L’aveu d’impuissance implicite qui sous-tend cet
argument prête à sourire.
Deuxième étape, et cela on l’a vu dans de nombreux pays d’Amérique
du Sud, en Yougoslavie, en Géorgie ou en Ukraine, saper la légitimité des élus
en détournant leurs intentions politiques. Il est très curieux, vue de France, de
constater la « peur » des femmes américaines face au nouveau
président, et les manifestations qui s’en suivent. Des manifestations si bien
organisées jusque dans les détails.
Tu parles des manifestations aux aéroports contre le « muslim
ban ». Si je ne me trompe pas, le titre de l’« executive order »
du 27 janvier 2017 n’est pas celui-là. N’est-ce pas plutôt : « Protecting
The Nation From Foreign Terrorist Entry Into The United States » ? On
pourrait évidemment discuter l’efficacité de cette mesure, se demander pourquoi
certains pays du Moyen Orient ne sont pas visés (ce qui d’ailleurs montre bien
qu’il ne s’agit pas d’un « muslim ban » génréral), mais l’appeler « muslim
ban » comme le font la plupart des médias est une déformation de la
réalité dont l’objectif premier semble bien de déconsidérer le nouveau
président.
Les manifestations de rue soigneusement organisées avec des
participants rémunérés font aussi partie des méthodes de ces « regime
changes ».
Tout ceci ressemble au refus obstiné de la part des perdants
de l’élection d’en accepter les résultats. Ce n’est pas une particularité des Etats-Unis,
mais plutôt de la classe dirigeante du monde dit « Occidental ». L’idée
de base est que la population est incapable de savoir ce qui est bon pour elle,
c’est pourquoi il faut des gouvernements de spécialistes, de « gens qui
savent » qui savent ce qui est bon pour tous. Donc quand le peuple ne vote
pas « comme il faut », on essaie de modifier son choix. On l’a vu,
par exemple, en France quand les électeurs français ont refusé, en 2005, par
référendum, le projet de constitution européenne. Ce projet a été très
légèrement modifié, son titre en particulier a été changé et il a été présenté
au vote des députés et sénateurs qui votent comme le gouvernement le lui
demande. Il n’a pas fait l’objet d’un nouveau référendum. En Irlande on a fait
revoter la population jusqu’à ce qu’elle « vote bien ». C’est un déni
de démocratie.
On a vu le même type de réaction en Grande Bretagne après le
vote de sortie de l’Union Européenne. Les médias se sont fait l’écho de demandes
d’un nouveau vote « plus responsable ». Heureusement, les Anglais
semblent plus attachés à la démocratie que les Français.
Les autorités de l’Union Européenne à Bruxelles sont
également connues pour leur mépris des populations européennes. Jean-Claude
Junker, le président de la Commission Européenne a déclaré il y a deux ans à l’occasion
de la crise grecque : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique
contre les traités européens ». Les Grecs avaient élu un gouvernement
opposé aux politiques d’austérité imposées par l’Union Européenne.
Tout ceci, le mépris des populations, les politiques d’austérité
qui se suivent sans résultats sont à l’origine des mouvements souverainistes
qui s’expriment de plus en plus en Europe. Pour ces mouvements qui représentent
des pourcentages variables suivant les pays mais toujours importants, l’élection
de Donald Trump est comme un rayon de soleil dans un ciel nuageux. Il est le
signe que même aux Etats-Unis, le pays du néolibéralisme qui écrase les
populations et favorise la concentration des richesses dans un nombre toujours
plus petit de personnes, un système qui a écrasé la classe moyenne, dans ce
pays même, il peut y avoir un sursaut salutaire.
Voilà comment un nombre, toujours croissant, de personnes
voient l’élection de Donald Trump en Europe.
Bien entendu les médias donnent de lui une image dégradée,
parfois même ridicule. Il faut simplement y voir l’expression de ceux qui sont
déçus du résultat (il y en a aussi en France) et qui souvent sont justement
ceux qui possèdent ces médias. On peut y voir aussi une expression de l’arrogance
et du côté « donneur de leçon » des Français. Mais les Européens,
comme d’ailleurs les Américains, si on en croit de récents sondage, ne font
plus confiance aux médias dits « main stream » !
En ce qui me concerne, mon expérience de nombreuses cultures
du monde avec leurs codes de comportement, m’interdit de porter un jugement sur
le style de Donald Trump. Simplement, il apparaît comme un homme politique qui,
après son élection, cherche à tenir ses promesses principales de campagne.
Voilà qui est aussi assez nouveau !
Pour ce qui est de la politique étrangère des Etats-Unis, je
pense que le nouveau président s’engage dans la voie qui devrait aider à apaiser
les tensions du monde que la politique étrangère américaine récente avait porté
proche du point de rupture. Je ne me fais pas d’illusions, le chemin sera long
et il y aura des revers. Donald Trump a tout de même parfois des réactions qui
peuvent inquiéter, le danger restera présent. Mais ce qui me donne espoir, ce
sont ses déclarations qui laissent présager une politique plus proche de celle
du président Andrew Jackson qui pensait que les Etats-Unis ne sont pas investis
d’une mission universelle et que l’exceptionnalisme américain n’est pas une
vocation à transformer le monde, mais une vocation à protéger l’égalité et la
dignité de chaque citoyen Américain.
Nous avons trop vu, dans le monde, les dégâts provoqués par
la vision qu’avaient Barack Obama, ou Hillary Clinton, pour ne citer qu’eux, de
l’exceptionnalisme messianique américain !
Bien à toi,
Virgile
[1] Les Russes racontent la blague suivante : « Savez-vous
pourquoi il ne peut pas y avoir de révolution de couleur aux Etats-Unis ?
Réponse : parce que là-bas, il n’y a pas d’ambassade américaine ! »
Se tromperaient-ils ?